Réforme des collectivités locales : il faut deux fois moins de communes.
Or, sans surprises : le
changement est aussi consensuel qu’est vaste le débat sur les modalités d’une
réforme jugée nécessaire. Toutes les possibilités semblent être offertes à la
discussion, et les meilleurs designers politiques ne s’interdisent pas
d’examiner les bouleversements les plus spectaculaires – allant jusqu’à
proposer un « big bang » de le démocratie locale. A l’inverse
pourtant, la réforme des collectivités locales ne pourra être réellement
pertinente que si elle capitalise sur la structure déjà existante, et elle ne
suscitera l’adhésion des acteurs que si elle s’inscrit dans le prolongement du
mouvement de décentralisation entamé depuis un quart de siècle. Pour impulser
une évolution maîtrisée et conforme à la dynamique passée, il paraît nécessaire
de travailler d’abord sur la base de la structure. Ceci est une évidence dès
que l’on admet le constat, largement partagé parmi les élus locaux, que l’échelon
communal se cherche encore. Si l’intercommunalité, innovation récente, paraît
plus que jamais nécessaire dans le schéma actuel, elle n’est qu’une rustine
sans avenir, et les multiples réformes relatives aux intercommunalités n’ont
pas encore convergé vers une solution viable. Ainsi, les statuts qui caractérisent
les groupements de commune sont trop faibles car ils favorisent les disparités
de situations et l’intercommunalité n’est pas une collectivité territoriale
reconnue par la constitution. En résumé, de par son statut hybride et
intermédiaire, l’intercommunalité ne peut exister.
S’il faut partir de
l’échelon communal, ce n’est donc pas uniquement une question de trajectoire de
la réforme : une mutation saine qui voudra s’inscrire dans l’esprit
spécifique de la décentralisation devra en effet procéder en sens inverse des
schèmes habituels en matière de réforme de l’Etat : « Bottom-up »,
et non « top-down ». Selon cette voie ascendante, la réorganisation
des niveaux départementaux et régionaux devrait apparaître comme une
conséquence naturelle de la refonte du niveau communal. Le rapport Attali,
souvent cité à propos de sa proposition hasardeuse d’une suppression des
départements, avait incidemment pointé avec une certaine justesse tant les
raisons qui ont présidé à l’apparition récente d’un échelon intercommunal
prégnant, que les importants surcoûts générés à ce niveau. La superposition du
niveau intercommunal sur le niveau communal ne brouille pas seulement la
démocratie locale ; cette superposition génère des inefficiences
administratives et financières, alors qu’elle était censée apporter des économies.
L’efficience de l’échelon communal reste finalement encore à traduire dans les
faits. Quelques chiffres viennent appuyer ce constat : plus des trois-quarts
des communes ont moins de 1000 habitants. Ceci explique en partie que plus de 9
communes sur 10 appartiennent à une intercommunalité, les communes étant
obligées de se grouper pour exister ailleurs que sur le papier. Dans une large
majorité des cas, cette tendance au regroupement systématique oblitère donc les
innombrables « atomes » locaux que sont les petites communes. Ces
petites communes connaissent des difficultés chroniques tant sur le plan de
leur gestion que dans la mise en œuvre de leurs politiques d’investissement.
Comme les petites entreprises, elles n’ont en général pas les compétences juridiques
et techniques nécessaires pour porter leur fonctionnement et leurs
interventions, notamment en termes de marchés publics ; et les personnels
qu’elles gèrent sont trop peu nombreux, ce qui génère des inefficiences dans la
gestion RH. Par ailleurs, les faibles volumes financiers dont elles disposent
limitent l’ampleur de leurs investissements. C’est pourquoi l’intercommunalité
vient naturellement se substituer à ces communes. Ce constat simple et factuel
montre la pertinence de l’échelon agrégé et l’obsolescence d’un échelon
communal trop fin.
Sur la base de ce constat,
on conçoit qu’une meilleure efficacité à tous les niveaux territoriaux ne
pourra pas être obtenue sans que l’on atteigne au niveau des atomes communaux
la taille critique qui permettra de garantir aussi bien un fonctionnement
efficient qu’un levier minimal d’investissements. Pour cela, il faudra regrouper
les communes en mettant en place un plancher de population par commune. Ce
plancher devra être supérieur à 2000 habitants, et pourra être imposé soit
directement, soit par une minoration des dotations de l’Etat pour les communes
trop petites. Ceci devrait permettre de réduire au moins de moitié le nombre de
communes. Rappelons que les communes de nos voisins européens ont des tailles
bien plus importantes que les nôtres, par exemple vingt et trente fois
supérieures respectivement pour les Pays-Bas et le Danemark. En France, l’intercommunalité
devra cesser d’être la norme en étant remplacée par la commune quand en
pratique elle s’y substitue. Le recours à des intercommunalités devra être
restreint aux seules communautés d’agglomérations et communautés urbaines, qui
mettent en œuvre des synergies réellement significatives. La coopération
intercommunale devra alors être réduite à la forme institutionnelle du
syndicat, dont le champ est restreint à un périmètre spécifique. Le nombre
d’élus (ils sont actuellement 500 000 en France) sera diminué en
conséquence, et la politique locale sera rendue plus crédible et plus lisible.
Une telle transformation, renforçant l’échelon communal, est d’ailleurs un
levier de démocratie autant qu’un levier d’efficience, selon le mot de
Tocqueville : « Les institutions communales sont à la liberté ce que
les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du
peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en
servir ».
C’est seulement sur ce
fondement d’un échelon communal rénové et renforcé, débarrassé du casse-tête intercommunal,
qu’il sera possible de construire une grille univoque de compétences,
attribuant à chaque niveau des périmètres propres et à chaque périmètre un
niveau « chef de file » de la compétence. Sur la base de cette
répartition claire et assainie des compétences, la fiscalité locale pourra être
répartie entre les échelons, de telle sorte qu’elle soit proportionnée aux
périmètres d’intervention des collectivités et répartie entre les niveaux
régionaux, départementaux et communaux selon le principe : « un
échelon, un impôt ». Une clarification qui part des communes pour remonter
aux échelons supérieurs semble ainsi être la seule voie efficace et sûre qui
permettra de « marquer l’essai » de la décentralisation en France.