Peut-on être physiocrate aujourd'hui
Il
faudrait interroger certaines similitudes entre le renversement
matérialiste auquel procède la physiocratie et des
tendances contemporaines. Rappelons que la physiocratie est un
courant de pensée économique qui a pris le contrepied
de la doctrine mercantiliste pratiquement point par point. Les
physiocrates, guidés par Quesnay, ont prôné le
laissez-faire en matière d'échanges commerciaux et
l'impôt unique sur les produits de la terre. Comme
le note Blanqui dans son Histoire
de l’économie politique,
les physiocrates reviennent aux maximes patriarcales de Sully :
« labourage et pâturage sont les
mamelles de l’État. » Plus qu'un axiome économique
c'est une exigence politique, et Mirabeau
(le père) affirmait : « C'est par les choses que
les hommes sont gouvernés ». Il entendait que le
droit positif ne peut contrevenir sans danger au droit naturel,
auquel il est subordonné par essence. De façon
générale, on peut traduire l'orientation générale
de la physiocratie comme fondée sur un « principe
de réalité ».
C'est un même « retour à la terre » (lire la BD de Manu Larcenet !) qui est dans l'air du temps. Si l'on interroge les représentations collectives, on a l'impression d'assister à ce volte-face, qui se veut radical. En effet, que ce soit en provenance des écologistes ou de l'UMP, le discours veut procéder à une section des parties morbides, il défend une appendicectomie dans les règles (Est-ce anodin que Quesnay était chirurgien ?). Ce doit donc être un principe pragmatique qui guide le sens politique, mais ce pragmatisme repose sur un « réalisme militant » : Qu'est-ce qui est premier, vital, nécessaire ? Ce retour aux fondements les plus concrets de la vie économique est particulièrement crucial dans le contexte de pénurie alimentaire qui menace depuis quelques mois certains équilibres planétaires.
Une question est le caractère moderne, ou non, de ce mouvement. Ce qui est sûr, c'est que le volte-face est ambigu. On a souvent noté que la physiocratie était à l'origine de l'économie moderne, et que Adam Smith s'y rattache de façon majeure. Cependant, la dimension volontairement malthusienne du retour à la terre est problématique. Il prend acte d'une déterritorialisation des processus en même temps qu'il combat cette orientation abstraite du processus technique et historique. Le mot d'ordre semble alors être « retour au concret ! ». Mais c'est une exigence anachronique, puisque l'échange du blé n'est plus de ce temps. Il y a donc de l'anti-modernisme dans cette volonté moderne. Or les circuits de production sont devenus complexes, inextricables : les marchés entiers fondés sur les services et la production de biens informationnels ne constituent pas une entité détachable, mais sont bien partie intégrante du réseau économique. L'inadaptation structurelle de ce type de discours est donc patente, en même temps que les nécessités mises en avant sont dramatiquement centrales.
On ne peut alors que constater la disparition des frontières, marquée par l'intrication de l'abstrait et du concret, et se mettre en quête d'un nouveau découpage plus effectif. Dans ce cadre, la question « qu'est-ce qui est premier ? » semble inadéquate. Mais si elle est étrangère au terrain contemporain qu'elle veut analyser, elle met au jour un problème dont il faut trouver une bonne formulation. C'est un des sujets qui doit être interrogé dans ce blog, sans qu'on puisse prétendre en produire la solution.