Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Contemporain
4 janvier 2009

Réforme des collectivités locales : il faut deux fois moins de communes.

De par le large consensus qui se dégage parmi les élus autour de sa nécessité, le projet de réforme des collectivités territoriales semble insolite. Dans les faits, cette apparente harmonie cache évidemment des disparités tant sur les diagnostics que sur les remèdes. Si harmonie il y a, elle est due à l’adhésion générale au mouvement de décentralisation : cette évolution récente de l’organisation de notre démocratie possède en effet le caractère singulier d’avoir été portée par tous les bords politiques. Le sentiment partagé est donc qu’un mouvement a été initié qui n’a pas encore atteint son achèvement : les structures récentes issues de la décentralisation n’ont pas encore trouvé le point d’équilibre autour duquel s’organisera leur fonctionnement. D’où le « malaise territorial », qui s’est cristallisé dans les derniers mois autour de la dégradation des conditions de financement à l’échelon local : on pense ici non seulement aux produits financiers « toxiques » qui constitueraient environ un quart de la dette des collectivités locales, mais surtout à la difficulté, brûlante en ce mois de décembre, de trouver les financements de long terme nécessaires pour clore l’année en équilibre budgétaire. Ces éléments conjoncturels cachent dans les faits des difficultés structurelles, plus profondes : le désengagement progressif de l’État sur les périmètres récemment transférés aux collectivités locales est confirmé par la révision progressive des modalités des transferts de l’Etat vers les collectivités, alors qu’une partie importante des transferts était censée couvrir des transferts de compétences qui sont dans les faits de simples transferts de charges insuffisamment compensés. Et s’il semble légitime d’impliquer les collectivités dans l’effort de maîtrise budgétaire consenti au niveau national, il paraît moins justifié de désigner exclusivement l’échelon territorial comme prodigue bouc émissaire de la République. Face au délestage de l’Etat à leur détriment, les élus locaux font donc front commun pour sauver la liberté politique locale, réclamant une réforme générale de la fonction territoriale.

Or, sans surprises : le changement est aussi consensuel qu’est vaste le débat sur les modalités d’une réforme jugée nécessaire. Toutes les possibilités semblent être offertes à la discussion, et les meilleurs designers politiques ne s’interdisent pas d’examiner les bouleversements les plus spectaculaires – allant jusqu’à proposer un « big bang » de le démocratie locale. A l’inverse pourtant, la réforme des collectivités locales ne pourra être réellement pertinente que si elle capitalise sur la structure déjà existante, et elle ne suscitera l’adhésion des acteurs que si elle s’inscrit dans le prolongement du mouvement de décentralisation entamé depuis un quart de siècle. Pour impulser une évolution maîtrisée et conforme à la dynamique passée, il paraît nécessaire de travailler d’abord sur la base de la structure. Ceci est une évidence dès que l’on admet le constat, largement partagé parmi les élus locaux, que l’échelon communal se cherche encore. Si l’intercommunalité, innovation récente, paraît plus que jamais nécessaire dans le schéma actuel, elle n’est qu’une rustine sans avenir, et les multiples réformes relatives aux intercommunalités n’ont pas encore convergé vers une solution viable. Ainsi, les statuts qui caractérisent les groupements de commune sont trop faibles car ils favorisent les disparités de situations et l’intercommunalité n’est pas une collectivité territoriale reconnue par la constitution. En résumé, de par son statut hybride et intermédiaire, l’intercommunalité ne peut exister.


S’il faut partir de l’échelon communal, ce n’est donc pas uniquement une question de trajectoire de la réforme : une mutation saine qui voudra s’inscrire dans l’esprit spécifique de la décentralisation devra en effet procéder en sens inverse des schèmes habituels en matière de réforme de l’Etat : « Bottom-up », et non « top-down ». Selon cette voie ascendante, la réorganisation des niveaux départementaux et régionaux devrait apparaître comme une conséquence naturelle de la refonte du niveau communal. Le rapport Attali, souvent cité à propos de sa proposition hasardeuse d’une suppression des départements, avait incidemment pointé avec une certaine justesse tant les raisons qui ont présidé à l’apparition récente d’un échelon intercommunal prégnant, que les importants surcoûts générés à ce niveau. La superposition du niveau intercommunal sur le niveau communal ne brouille pas seulement la démocratie locale ; cette superposition génère des inefficiences administratives et financières, alors qu’elle était censée apporter des économies. L’efficience de l’échelon communal reste finalement encore à traduire dans les faits. Quelques chiffres viennent appuyer ce constat : plus des trois-quarts des communes ont moins de 1000 habitants. Ceci explique en partie que plus de 9 communes sur 10 appartiennent à une intercommunalité, les communes étant obligées de se grouper pour exister ailleurs que sur le papier. Dans une large majorité des cas, cette tendance au regroupement systématique oblitère donc les innombrables « atomes » locaux que sont les petites communes. Ces petites communes connaissent des difficultés chroniques tant sur le plan de leur gestion que dans la mise en œuvre de leurs politiques d’investissement. Comme les petites entreprises, elles n’ont en général pas les compétences juridiques et techniques nécessaires pour porter leur fonctionnement et leurs interventions, notamment en termes de marchés publics ; et les personnels qu’elles gèrent sont trop peu nombreux, ce qui génère des inefficiences dans la gestion RH. Par ailleurs, les faibles volumes financiers dont elles disposent limitent l’ampleur de leurs investissements. C’est pourquoi l’intercommunalité vient naturellement se substituer à ces communes. Ce constat simple et factuel montre la pertinence de l’échelon agrégé et l’obsolescence d’un échelon communal trop fin.

Sur la base de ce constat, on conçoit qu’une meilleure efficacité à tous les niveaux territoriaux ne pourra pas être obtenue sans que l’on atteigne au niveau des atomes communaux la taille critique qui permettra de garantir aussi bien un fonctionnement efficient qu’un levier minimal d’investissements. Pour cela, il faudra regrouper les communes en mettant en place un plancher de population par commune. Ce plancher devra être supérieur à 2000 habitants, et pourra être imposé soit directement, soit par une minoration des dotations de l’Etat pour les communes trop petites. Ceci devrait permettre de réduire au moins de moitié le nombre de communes. Rappelons que les communes de nos voisins européens ont des tailles bien plus importantes que les nôtres, par exemple vingt et trente fois supérieures respectivement pour les Pays-Bas et le Danemark. En France, l’intercommunalité devra cesser d’être la norme en étant remplacée par la commune quand en pratique elle s’y substitue. Le recours à des intercommunalités devra être restreint aux seules communautés d’agglomérations et communautés urbaines, qui mettent en œuvre des synergies réellement significatives. La coopération intercommunale devra alors être réduite à la forme institutionnelle du syndicat, dont le champ est restreint à un périmètre spécifique. Le nombre d’élus (ils sont actuellement 500 000 en France) sera diminué en conséquence, et la politique locale sera rendue plus crédible et plus lisible. Une telle transformation, renforçant l’échelon communal, est d’ailleurs un levier de démocratie autant qu’un levier d’efficience, selon le mot de Tocqueville : « Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir ».

C’est seulement sur ce fondement d’un échelon communal rénové et renforcé, débarrassé du casse-tête intercommunal, qu’il sera possible de construire une grille univoque de compétences, attribuant à chaque niveau des périmètres propres et à chaque périmètre un niveau « chef de file » de la compétence. Sur la base de cette répartition claire et assainie des compétences, la fiscalité locale pourra être répartie entre les échelons, de telle sorte qu’elle soit proportionnée aux périmètres d’intervention des collectivités et répartie entre les niveaux régionaux, départementaux et communaux selon le principe : « un échelon, un impôt ». Une clarification qui part des communes pour remonter aux échelons supérieurs semble ainsi être la seule voie efficace et sûre qui permettra de « marquer l’essai » de la décentralisation en France.

Publicité
Publicité
Commentaires
Le Contemporain
Publicité
Publicité