Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Contemporain
18 mai 2008

Mal-être de l'AFP

« Une agence de presse n’est pas un blog » écrit Christophe Beaudufe (Président de la Société des Journalistes de l’AFP) dans le Monde pour défendre l’AFP face aux accusations de partialité imputées par l’UMP. Et il précise : « Une agence de presse n’est pas un blog, sur lequel les acteurs politiques ou économiques viendraient poster des communiqués à leur guise ». C’est, manifestement, faire erreur sur ce qu’est un blog. Mais nous ne nous arrêterons pas à de tels détails.

On a vu en Juillet 2004 quels étaient les limitations de l’appareil médiatique, quand a été créée de toute pièce l’information relative à l’agression d’une jeune femme dans le RER D par des agresseurs antisémites, qui lui auraient dessiné des croix gammées sur le ventre. Le public français a été victime d’un mouvement auto-entretenu où une première dépêche AFP, au conditionnel et non vérifiée, a généré d’abord une première vague d’« information », qui a suscité des réactions politiques, elles-mêmes alimentant de nouveau les médias. Dans de tels cas se met en œuvre un fantastique phénomène de feed back, et la perturbation initiale est soumise à une amplification démesurée qui n’est limitée que par la capacité maximale d’annonce disponible. RER_04Le tout aboutit par exemple, au 20h de TF1, à une reconstitution en 3D du déroulement de l’agression : pendant virtuel d’une agression qui devient ainsi réelle, puisqu’elle peut être reconstruite en images vidéo. Ici, la dynamique est exacerbée par la volonté de faire preuve d’anti-antisémitisme. Mais ce point est secondaire pour notre sujet : ce qui importe, c’est l’effet Larsen, le rapport démesuré entre la faiblesse d’une perturbation initiale, extrêmement ténue, et la fermeté de l’affirmation finale, multipliée par le nombre de canaux médiatiques existant, seulement limitée par la saturation de l’appareil.

 

Un point essentiel est que l’origine du mouvement tient dans une dépêche AFP de 245 mots. On voit ici quelle est la limite de la domination d’un tel goulot d’étranglement sur l’approvisionnement en information de la presse française. Dans un tel contexte, l’accusation de l’UMP envers l’AFP ne porte pas dans le vide. Une concurrence sans merci se nourrit à partir d’un flux unique délivré par le « grossiste en information » qu’est l’AFP, en situation de quasi-monopole. En pratique, les rédactions des journaux français se placent en position d’attente vis-à-vis de l’AFP, qui semble seule habilitée non seulement à délivrer l’information, mais en outre à la certifier.

 

Cette situation est compliquée par le fait que l’AFP veut jouer sa distanciation d’avec l’Etat, du fait de son statut hybride. C’est en effet une relation complexe, ambiguë, que l’AFP entretient avec l’Etat depuis sa relative autonomisation, datant de 1957. Le principe d’impartialité qui régit cette relation est lui-même assez délicat. Cette position d’impartialité est-elle tenable ? L’information est traitée, sélectionnée, évaluée. Il y a donc réellement rédaction d’une dépêche. Le flux ainsi lancé constitue une matière première pour la presse, mais il n’est pas d’objectivité qui tienne dans ce contexte. Non pas qu’une telle objectivité soit impossible, au moins comme limite à viser. Mais l’objectivité s’appuie nécessairement sur la multiplicité des traitements. Ceci est au fondement de la notion d’objectivité en sciences, dont on peut penser qu’elle est fondamentalement associée à l’intersubjectivité. Du point de vue de l’information, c’est la concurrence seule qui est à même de garantir une certaine objectivité. Or cette concurrence est problématique en ce qui concerne les agences de presse. En effet, d’un point de vue économique, les agences produisent des biens non-rivaux, qui ont la propriété de pouvoir être distribués au plus grand nombre sans s’altérer. Ce type de marché très particulier est dominé par les coûts fixes. Multiplier les firmes sur le marché, c’est donc multiplier les prix par autant, sans qu’une plus grande quantité soit produite. La différence n’intervient que sur le plan de la qualité, élément difficilement mesurable en l'occurrence. Mais la qualité est augmentée de beaucoup dès que deux firmes existent. On peut se poser la question du nombre idéal d’agences de presse, en espérant qu’il soit supérieur à deux (voir le problème ci-dessous !). Il est en tout cas légitime de s’inquiéter qu’une seule agence nourrisse une multiplicité de médias. L’inverse permettrait, seul, l’objectivité : le non-être doit trouver sa consistance en se confrontant à l’être, et il le fait par la médiation que lui imposent les autres non-êtres. C’est une question de mesure, d’équilibre des médias.


Petit problème : On peut penser que le cadre théorique le mieux à même de rendre compte de ce genre de domaine réside dans les théories de la croissance endogène introduites par l’économiste Paul Romer dans les années 1980. Comme dans beaucoup de domaines de nos économies modernes, la richesse ne provient alors plus de la quantité, mais de la diversité de l’offre. Le luxe est dans la variété. Pourtant, la limite inverse, la situation de concurrence, est tout autant dangereuse, car outre qu’elle serait globalement trop chère, elle empêcherait les agences d’investir suffisamment dans la recherche d’informations, et nuirait à la qualité produite. La question est donc : quel est le nombre d’agences idéal ? Faites un modèle, j’attends votre réponse !

L'image est tirée d'une analyse stimulante de ACRIMED que l'on peut lire sur : http://www.acrimed.org/article1706.html

Publicité
Publicité
Commentaires
D
"Le luxe est dans la variété."<br /> hum, je propose "le luxe est dans l'équilibre".<br /> <br /> tous ces modèles d'équilibre gomment quand même un peu vite la question des externalités, non ?
Le Contemporain
Publicité
Publicité